Changer de paradigme, telle pourrait être la devise qui jalonne mon existence. Certes l’intégration de ce concept a évolué avec les années d’expériences, toutefois le principe de base s’identifie au travers de nombreuses expériences.
Sur les pages de ce site, vous trouverez les dernières circonstances qui m’ont invité à poser un autre regard sur les objets de la vie quotidienne. Cependant, ma première confrontation avec un paradigme se passe alors que j’étais encore jeune enfant. En effet, j’avais reçu de mon voisin une vieille pendule avec comme prescription d’en faire ce que je voulais. Elle m’était destinée pour que je puisse m’amuser. Etant de nature bricoleur et ayant un certain nombre d’outils à ma disposition, je me suis donc mis à démonter l’engin. Cependant mes connaissances en horlogerie étant limitée je me contentais d’imiter les gestes de mon père sans pour autant en maîtriser toute la technique. C’est ainsi qu’après quelques tours de tournevis j’ai transformé mon horloge en véritable ventilateur, en effet les aiguilles se sont mises à tourner à pleine vitesse jusqu’à ce que le ressort de la pendule soit complètement détendu, et de nombreuses petites pièces ont volé en éclat jonchant le sol de part et d’autre.
Malheureusement, cette opération ne fut pas sans conséquences car des composants mécaniques furent abîmées ; notamment « l’ancre », une des pièces maîtresses du mouvement. Plutôt déçu par cette opération navrante, j’attendis avec impatience le retour du maître horloger pour lui raconter ma mésaventure dans l’espoir de recevoir de sa part quelques bons conseils pour réparer mon horloge.
C’était sans compter que le diagnostic du professionnel se fonderait sur un paradigme situant le degré de précision à un niveau nettement plus élevé que le mien. Pour ma part, l’objectif était que cette vieille pendule sans âme fasse à nouveau entendre son « tic-tac » familier et que les aiguilles tournent au fil du temps qui s’écoule. La notion « d’heure précise » étant un concept plutôt vague pour mon âge.
Cependant, pour le spécialiste qui « chatouillait » le millième de millimètre à longueur de journée, il était évident que les dégâts occasionnés fussent irrémédiables, et le verdict fut sans appel ; « ta pendule, elle est fichue ! ». Aujourd’hui, avec une formation de micro mécanicien en poche, il me serait difficile de trouver des arguments probants pour contredire l’appréciation de mon père. Toutefois à l’époque, cette rigueur de la minutie me paraissait aller à contre courant de mon projet et de ma détermination même si ce concept constitue une composante fondamentale du paradigme de la précision horlogère.
Assurément un peu touché dans mon amour propre, j’ai rassemblé les pièces éparpillées, les outils à ma disposition et quelques épingles empruntées à ma mère ainsi que mes « talents » de bricoleurs dans le but de remonter ce mouvement et de le faire fonctionner, ceci malgré la sentence. Ma peine fut récompensée, l’horloge me fit entendre un « tic-tac » certes boiteux mais ma satisfaction fut grande. Cette vaillance me valut une sanction gratifiante du maître horloger même si d’un point de vue métrologique la pendule ne remplissait plus les critères requis pour être considérée comme un mouvement de précision.
Travaillant dans le domaine du social et de la santé, cette anecdote vieille de plusieurs décennies influe encore aujourd’hui dans ma pratique d’éducateur social. Confronté à des situations où les éléments semblent sclérosés et définitivement ancrés – je ne parle pas de la même ancre que tout à l’heure, bien que…une petite réflexion métaphorique permettrait de faire des analogies intéressantes entre les mouvements cycliques de l’ancre tel un balancier parcourant les extrêmes tout en passant par le juste milieu ou bien encore qu’à chaque phase l’ancre libère la roue d’échappement et à la longue ce phénomène détend le ressort, bref autant de termes qui résonnent avec des situations professionnelles concrètes – il m’est difficile de considérer qu’il n’existe pas de solutions alternatives et qu’impérativement il convient de sortir du paradigme ambiant et faire œuvre de « bri-colage » avec les éléments présents. Formé au processus de production du handicap, cette conviction s’est renforcée. Dès lors, mon regard sur l’emploi d’un camping-car par des personnes en situation de mobilité réduite ne pouvait plus être enfermé dans la logique d’une utilisation standard… c’est ainsi que tout à commencé.
Eric Huguenin mai 2013
